Étrange éclat que celui qu’il a dans l’œil… assurément, il a dans l’œil l’étrange éclat, celui de l’enfance, cet éclat même, je ne pensais pas un jour le revoir autrement qu’à ma place dans le monde, désormais adulte qui tient dans sa main la main plus petite, l’emmène, à sa demande, de par le monde… j’y avais renoncé, malgré moi, et voilà que je la retrouve, je l’avais oubliée, elle me revient à présent, l’étrange façon de regarder que seuls les enfants portent en eux, qu’ils dispensent sans concession sur le monde, je ne pensais pas un jour retrouver cette position dans le monde, face à l’étrange pupille du cheval de bois, elle est presque fixe… que regarde-t-il du fond de ses rêves ? il a beau tourner en rond on ne sait pas de quoi il est capable, il a beau tourner sur place, dans un périmètre très restreint, qui pour lui doit être la même et très faible amplitude que de tourner sur lui, au son de la mécanique musicale d’un vieux manège, dans le parc, à sa lisière, dans l’odeur douce et un peu écœurante des barbes à papa, il est toujours capable de rêves de distance.
Déjà il est parti. Il s’éloigne et m’enlève cet étonnement. Je pourrais presque penser que j’ai rêvé.
Il faut le regarder et pour cela il ne se pourrait faire autrement que d’être à sa hauteur. De quoi ai-je oublier de rêver, ces derniers temps ? On dirait que c’est ce qu’il demande. Pourquoi me demande-t-il cela à moi ? Je ne fais que passer, il est dans un autre espace, où je me garderais bien d’entrer, il est dans la courbure d’un arc-de-cercle qui fait que dans quelques dizaines de secondes, il sera là, de nouveau, quand il aura terminé le tour complet auquel depuis toujours et à jamais son univers est limité, sous mes yeux, et de nouveau me lancera la question silencieuse qu’il vient de me lancer. De quoi as-tu oublié de rêver ? La question tacite n’atteindra pas mes lèvres, ne les embrassera pas, ne caressera pas mon visage comme autrefois il fut, pour le caresser, une main qui essuyait mes larmes, la question douce-amère ne sera pas dite, ne soulèvera pas mes cheveux comme un souffle d’air tiède dans l’éternité brève d’une fin d’après-midi, quand le monde est gorgé de lumière et enfin pourrait s’apaiser, se recouvrir d’un voile, s’envelopper de nuit.
Déjà il revient.
Oui, c’est bien cela qu’il demande de sa pupille brillante … de quoi ai-je oublié de rêver ces derniers temps… la question effleure mes lèvres, il me semble que c’est moi qui la pose, et personne d’autre, la question effleure ma joue, essuie mes larmes, et les emporte dans le souffle tiède de l’air… je ne sais pas encore répondre, mais ne t’éloigne pas, il doit bien y avoir des rêves dont il m’est possible de rouvrir les éventails colorés, je les tendrai vers lui, ils iront dans sa direction la prochaine fois qu’il passera, ils iront le rejoindre, pourvu qu’il revienne vite à présent. Qu’il me laisse entrer dans la courbe de ses rêves, qu’il me laisse m’éloigner avec lui. Qu’il me laisse me retrouver là où je n’ai pas cessé d’être.
Texte : Isabelle Pariente-Butterlin
Photo et son : Louise Imagine
La croisée des marelles s’est nourrie d’échanges et de dialogues. Peu à peu l’idée en est née, partage, réponses, Isabelle Pariente-Butterlin à l’écriture, et moi-même derrière l’appareil photo. Échanges à géométries variables, puisque, au gré de l’inspiration, textes ou photos se nourriront l’un l’autre… Quelque chose comme une proximité dans le regard porté sur le monde, une même ligne mélodique dans ce que nous en saisissons rendaient possible cette croisée des marelles. Nous avons eu envie qu’elle ait un espace pour se déployer au fil des rêves.
belle collaboration
Merci de votre commentaire ! Je suis enchantée de ces échanges avec la délicieuse Isabelle… Ces textes sont une véritable inspiration/respiration.
Du pur bonheur !
Alors, je garde le lien comme on garde ses rêves, en marge mais vivants…
beau texte et comme le dit Claudine, belle rencontre !
Merci Pierre,
Très heureuse de vous retrouver par ici…
Quelle joie de découvrir cet espace! C’est magnifique, bravo à vous deux. Un vrai bonheur. Bises. .)
Merci Xavier pour ces mots… Je suis très heureuse que cela te plaise.
Personnellement, je prend beaucoup de plaisir à cette collaboration !
La croisée des marelle sera publiée sur le Blog d’Isabelle ou ici même, selon que l’écriture ou la photographie initiera le dialogue…
Bises à toi !
Je me suis toujours doutée gamine qu’à la nuit tombée les chevaux de bois prenaient vie et échappaient à leurs sangles. Ta magnifique photo en est une preuve supplémentaire. 🙂
Merci Frédérique ! Les mots d’Isabelle donnent vie à la photo. Et vive la liberté !
Beau.
Belle initiative aussi, que celle de faire se rencontrer mots et images, visions et lignes.
Belle continuation.
(ah si : j’ai beaucoup aimé » … il est toujours capable de rêves de distance « .)
Merci à Vous deux.
Jm
Merci Jean Michel,
Cela me touche d’autant que je sais que vous aimez la photographie et photographiez vous-même
Et je ne parle même pas de l’écriture 🙂