La croisée des marelles, IV


 

Elle passe. Elle tournoie. Elle virevolte, et ce sera une des très jolies choses de ce jour. Même si c’était la seule, il y aurait de bonnes raisons de penser que le jour ne s’est pas perdu dans la vacuité, dans la vanité. Il n’a pas basculé dans l’abîme. Parce que, de temps en temps, on la voit passer, dans l’encadrement de la porte. Simplement ce passage, dans l’encadrement de la porte, a suffi. Presque rien. Elle ne nous regarde pas. Elle passe en tournoyant sur elle-même comme un petit derviche rêveur. Il semble qu’elle se récite une ancienne comptine dont les accents marquent ses pas, rythment sa danse, il faudrait pouvoir écouter mieux, mais elle pourrait en être troublée, détournée de ses spirales infinies, alors que, pour le moment, dans la lumière de l’après-midi, elle ne se préoccupe ni de notre regard ni de notre présence, elle est dans le monde très éloigné de ses rêves, et si on l’appelait, ou si on tentait imprudemment une intrusion dans les images qui, à elle, reviennent de droit de sources très mystérieuses, il est bien possible qu’elle en vienne, au détour d’une de ses courbes, à poser sur nous de grands yeux étonnés et un peu déçus de toutes les infractions qu’il est envisageable de commettre au déroulement très précis de ses chorégraphies tournoyantes.

Elle tourne sur elle-même, petit derviche rêveur, rieur, qu’il est possible de voir passer dans l’encadrement de la porte. Elle ne l’a pas repoussé, ni elle, ni le vent, ne l’ont repoussée, de sorte qu’il est possible de voir passer la tâche de couleur que fait sa robe d’été dans la mémoire, dans les sourires, il n’est pas difficile de saisir de cette tâche de couleur qui se gonfle sous l’effet de la vitesse de ses pas, de la précipitation de sa course, à bien y penser, il pourrait suffire de cela seul et il serait possible d’être heureux, même dans ce monde. Le bonheur ne paraîtrait pas tout à fait étranger. Zébrure translucide et colorée, elle emporte avec elle des souvenirs d’éclats de rires et des souvenirs de comptines, qui reviennent en boucle comme des antiennes, qui reviennent encore dans la mémoire, bien longtemps après que le silence de la nuit a tout recouvert, une fois de plus.

Il semble qu’elle enroule en spirale, dans le très léger déséquilibre des pas de l’enfance, l’ellipse qu’un satellite accomplit autour d’une planète qui elle-même tourne autour d’une étoile, étoile qui se déplace dans l’espace impensable de l’univers. Je crois qu’elle recalcule tous les ajustements à chaque pas, et que, minuscule satellite de ses rêves, elle se déplace ainsi dans le monde mystérieux qui en elle se déploie et dévoile sa clarté dans ses yeux sombres. Bien sûr, il n’y a pas de preuve de cette hypothèse. Mais les enroulements qu’elle déploie sont si complexes qu’il faut leur supposer un algorithme complexe de rêveries sidérantes, simplement pour comprendre cela :

Elle passe en dansant, derviche rieur, dans l’encadrement de la porte.

Texte : Isabelle Pariente-Butterlin

Photo et son : Louise Imagine

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La croisée des marelles s’est nourrie d’échanges et de dialogues. Peu à peu l’idée en est née,  partage, réponses, Isabelle Pariente-Butterlin à l’écriture, et moi-même derrière l’appareil photo. Échanges à géométries variables, puisque, au gré de l’inspiration, textes ou photos se nourriront l’un l’autre… Quelque chose comme une proximité dans le regard porté sur le monde, une même ligne mélodique dans ce que nous en saisissons rendaient possible cette croisée des marelles. Nous avons eu envie qu’elle ait un espace pour se déployer au fil des rêves.

3 réflexions sur “La croisée des marelles, IV

  1. Les mots ne pouvaient pas mieux coller à l’image ! Merveille pour les yeux, les oreilles et de la nourriture pour l’âme. Grâce à Isabelle je viens de découvrir le mot derviche et toute la magie qui tourne autour. Merci à vous deux encore un fois !!! Denise

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