La croisée des marelles, X



Tu te détaches sur le fond du monde. Surface lisse. Le monde autour de toi prend sens.

C’est ton mode de présence sur le monde. Le tien propre. Il n’y a que toi ici qui passes de cette manière, qui déplaces autour de toi ce halo. Je ne comprends pas comment tu fais, mais je me suis très vite habituée à ce que ce mystère s’accomplisse chaque fois, à chaque instant, autour de ta présence. Il n’y a rien à faire qu’à te laisser faire, déplacer les lignes autour de toi pour qu’elles ne t’arrêtent pas, prendre garde aux angles aigus.

Je me souviens de ce très vieux chef d’orchestre qui dirigeait l’orchestre presque sans aucun geste, de temps en temps, il donnait aux musiciens une indication unique qui les ré-orientait, et le cours de la musique se redéployait. Il écoutait en souriant, parfois remettait en place une mèche de cheveux. Je ne sais pas pourquoi, je me dis qu’il avait compris quelque chose de ce mystère.

Quand tu apparais dans l’espace presque géométrique, lisse, froid, au dessus de la surface d’un sol qui tend à jouer le rôle de miroir, tu délies quelques lignes, je le vois, même de mon monde d’adulte dans lequel je ne parviens pas tout à fait à entrer, et tu dénoues les possibles, sans doute parce que tu transportes avec toi tous les possibles qui sont entre tes mains rondes, elles ne les blessent pas, elles n’ont encore rien d’osseux, rien de sec, qui brisera plus tard les lignes fragiles des perspectives.

Je ne devine pas quelle nuée de rêves, d’espoirs, de possibles tu appuies légèrement sur les masses opaques du monde, au point que tout en lui en soit changé. C’est ton mystère. Je voudrais seulement qu’il s’accomplisse, et ne rien y changer, surtout, ne rien y changer.

Je voudrais laisser s’accomplir les mystères très antiques de ces changements, même s’il ne nous est possible que de rester en dehors, à la frontière invisible que tu déplaces autour de toi, chaque fois que tu entres pieds nus dans une pièce.

Texte : Isabelle Pariente-Butterlin

Photo et son : Louise Imagine

Son d’après une histoire de Éric Carle – La chenille qui fait des trous

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La croisée des marelles s’est nourrie d’échanges et de dialogues. Peu à peu l’idée en est née, partage, réponses, Isabelle Pariente-Butterlin à l’écriture, et moi-même derrière l’appareil photo. Échanges à géométries variables, puisque, au gré de l’inspiration, textes ou photos se nourriront l’un l’autre… Quelque chose comme une proximité dans le regard porté sur le monde, une même ligne mélodique dans ce que nous en saisissons rendaient possible cette croisée des marelles. Nous avons eu envie qu’elle ait un espace pour se déployer au fil des rêves.

8 réflexions sur “La croisée des marelles, X

    1. Merci Mirabou, merci pour ces mots… Je voulais aussi te dire que ton dernier billet m’a vraiment beaucoup émue. Je suis de tout coeur avec toi et si je puis faire n’importe quoi pour toi, n’hésite pas…

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