Les Vases communicants – Échange avec Isabelle Pariente-Butterlin – Mars 2011


« Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre. » Vases Communicants


Cours !

Même s’il manque le bruit de tes pas … tu sais, ce crissement si souvent entendu qu’il suffirait presque de fermer les yeux pour pouvoir le retrouver, dans les ressacs secrets de la vie intérieur, où s’est imprimé, presque photographiquement, le crissement de ta course sur le sable, qui, en direction de la mer, soulève de minuscules gerbes d’étoiles, alors qu’étonnamment, elle ne produit pas le même crissement tendre dans le sol, mais un bruit un peu désabusé et las, qui est celui des pas que tu emploies pour revenir, et auxquels tu imprimes une autre sonorité. Pour un peu, il suffirait de fermer les yeux pour le percevoir. Il y a des dissymétries surprenantes, parfois, dans ton monde, des dissymétries insoupçonnables, absolument improbables, et je te soupçonne d’y prendre un malin plaisir, de déjouer les centres et les axes de symétrie pour instaurer des rêveries plus profondes et plus lointaines que les miennes, qu’une forme classique comme l’enroulement infini d’un coquillage nacré et hérissé, aussi hérissé qu’il est nacré, est venue désabuser.

Alors pourquoi ce très léger crissement manque-t-il ? Comme il devrait suffire de fermer les yeux pour entendre le bruit de roulement des vagues, ressassements des vagues, et les milliers de coquilles, et les milliers de fragments de coquilles qu’elles soulèvent, à chaque instance d’elles revenue, les milliers de fragments de coquilles qu’elles soulèvent et qu’elles rabattent sur le sable du rivage, sur cette zone très particulière, toujours la même, qu’il faut traverser avant d’entrer dans l’eau et qui est si rugueuse sous les pieds nus, quand les beaux jours reviennent ? Cours ! Le vent souffle et emmêle tes cheveux, et il a ce souffle immense et froid, dans les beaux jours, qui ferait presque pleurer mes yeux, et qui rougit tes joues … alors pourquoi, à présent, dans ce recoin feutré où je me suis repliée, cette respiration profonde du monde n’est-elle pas perceptible ?

Cours … ne t’arrête pas, ne t’arrête pas de courir dans mon souvenir, viens prendre place au creux de l’hiver sur l’écran de mon ordinateur… pourquoi mes souvenirs sont-ils aussi lumineux dès que tu y passes et soulèvent-ils le voile du réel brumeux que l’hiver a fait tomber sur nous ?

Je regarde encore une fois cette image de toi… je voudrais tant, l’espace d’un instant, retrouver dans le déroulement de mes phrases, quelque chose de ta présence, et de la légèreté de ta course sur la surface du monde, et de cette chambre d’hôtel où j’écris, il n’y a rien qui ne s’oppose point par point à ce souvenir de toi. Les phrases s’enroulent et se déroulent, tournent autour de mes souvenirs, et de mon insomnie, et elles ne parviennent pas, en dépit de leurs circonvolutions, à dérouler ce mouvement ample des galaxies qui est celui-là même du soulèvement du sable sous tes pas, l’un après l’autre, l’un puis l’autre, elles ne parviennent pas à retrouver le bruit profond et doux que fait ta course, il n’y a rien, que le cliquetis de mon clavier, le cliquetis de mes doigts sur le clavier, la projection sur l’écran (la phrase avance, signe à signe, certes, elle avance, il est indéniable que la syntaxe imperturbable soutient toute chose de ce monde) de ma conscience de toi, la projection de ma conscience de moi te regardant, de moi te cherchant dans le souvenir de mes regards sur toi, tout cela est froid et glacé comme ce vent d’hiver que la fenêtre ancienne et disjointe ne parvient pas à arrêter.

Et pourquoi, alors, ta présence simplement évoquée réussit-elle cet enroulement du monde qui met toute chose à sa place, alors que les trésors froids de la rationalité ne font que les disposer en un ordre, silencieux et méprisant, qu’il est impossible d’habiter seulement ?

Texte de :  Isabelle Pariente-Butterlin

Photo  : Louise Imagine

Isabelle m’a fait l’immense plaisir d’accueillir sur son site ma participation à ces Vases Communicants.

Liste des autres participants aux Vases Communicants de mars 2011 :

Candice Nguyen et Christine Jeanney

Sam Dixneuf et Stéphane Bataillon

Juliette Mezenc et Christophe Grossi

François Bon et Guillaume Vissac

Michel Brosseau et Jean-Marc Undriener

Estelle Javid-Ogier et Jean Prod’hom

Anna Vittet et Joachim Séné

Cécile Portier et Christophe Sanchez

Clara Lamireau et Urbain trop urbain

Anita Navarette-Barbel et Arnaud Maïsetti

Morgan Riet et Murièle Modély

Nolwen Euzen et Benoit Vincent

Maryse Hache et Michèle Dujardin

Elise et Piero Cohen-Hadria

Anne Savelli et Franck Queyraud

Dominique Hasselmann et Dominique Autrou

Marlène Tissot et Vincent Motard-Avargues

Kouki Rossi et Brigitte Célérier

Une réflexion sur “Les Vases communicants – Échange avec Isabelle Pariente-Butterlin – Mars 2011

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