Un instant. Je me repose. Attends un instant. Je viens… je viens ! Pas tout de suite. J’arrive, je sais, je n’ai pas oublié. Évidemment, je n’ai pas oublié, oui, je regarde, je regarde l’heure, je sais que nous sommes un peu en retard, mais ce n’est pas grave, non ? On va reprendre, on va repartir, je me relève, j’arrive, mais attends un instant, juste un instant, que je profite de rien, du moment.
Parfois rien suffit. Pas « un rien », un rien c’est quelque chose. Parfois, simplement rien, c’est suffisant. Je suis là. Rien ne bouge, rien ne se meut. Tu es sorti de la pièce, et pourtant je sais que tu es là, tout près. Je vais venir, te retrouver, de nouveau t’accompagner dans la course du jour. Mais là, je suis posée, en apesanteur, sur presque rien, l’impression du moment, le changement de rythme de la journée, autre chose, qui commence, autre chose qui finit, tu viens de rentrer, on va ressortir, entre les deux il y a presque rien, la limite entre les deux … une abstraction sur laquelle je me tiens et où je sens si bien la palpitation, le rythme du monde. Il faut ne pas bouger, ne pas tenter le moindre mouvement, rester, ainsi à la surface du monde, s’y sentir.
Quelque chose comme rien. Presque rien. La diffraction de la lumière. La poudre mystérieuse qui recouvre les ailes des papillons, qu’on dit si fragile. Il paraît qu’il suffit, sur elle, de passer ses doigts pour que les ailes soient détruites, pour qu’il lui soit, à tout jamais, impossible de voler. Penser à cela permet de se tenir, dans une certaine position du corps et de l’esprit, avec une certaine légèreté à la surface du monde, de tenter la légèreté. Je ne pèse pas. Je ne m’appuie sur rien. Je suis entre deux mondes, entre deux temps, entre deux espaces, on va sortir, j’arrive, pour l’instant, rien qu’un instant, je n’y suis plus, pour rien, pour personne, pour rien au monde.
J’essaie l’apesanteur. Même si ça n’a l’air de rien, c’est une opération délicate. Il pourrait suffire de déplacer la voyelle, de la faire passer de l’article au nom, de la repousser un peu plus loin dans la phrase, et une apostrophe se lève, prend son envol. Comme un froissement d’aile qui se déplie. Comme une aile froissée qui se déploie. Je me défais de la pesanteur. Je tente l’apesanteur.
J’arrive !
Texte : Isabelle Pariente-Butterlin
Photo : Louise Imagine
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La croisée des marelles s’est nourrie d’échanges et de dialogues. Peu à peu l’idée en est née, partage, réponses, Isabelle Pariente-Butterlin à l’écriture, et moi-même derrière l’appareil photo. Échanges à géométries variables, puisque, au gré de l’inspiration, textes ou photos se nourriront l’un l’autre… Quelque chose comme une proximité dans le regard porté sur le monde, une même ligne mélodique dans ce que nous en saisissons rendaient possible cette croisée des marelles. Nous avons eu envie qu’elle ait un espace pour se déployer au fil des rêves.