Juste cela. C’est tout. Je me souviens. Saturation des images. À hauteur de mon visage. Je me souviens. Les souvenirs reviennent. Par bribes. Légères. Comme les rubans d’un cerf-volant dans un ciel d’été. À la hauteur du visage. Quand le visage voit le monde au ras des épis de blé qui se balancent sous le ciel d’été. Des joues en feu dans la caresse de l’été. Attends. Laisse les souvenirs remonter. Ils vont revenir. Ils ne sont pas perdus. Ils sont là, qui ne demandent qu’à revenir. Ils sont là, je le sais.
Saturation des impressions. Pourquoi à présent me semble-t-il dériver dans le vide ? Je ne comprends pas comment, de cette plénitude des impressions, des sensations (se mêlaient, dans les premiers tournoiements d’un vertige tourbillonnant, l’odeur de l’herbe fraîche et tendre, la caresse du vent, la fatigue et la chaleur de la course, et la saturation des sons, le vent, les feuillages, qui se balancent, qui s’entremêlent, tu te souviens ?), j’ai pu peu à peu chuter et trébucher et tomber et m’abîmer dans le silence.
Souvenirs, en nous, si lointains. Nous les avons tous, en partage, ces souvenirs de courses de gamins, que nous avons été. Que nous ne sommes plus. Que nous sommes toujours. Que toujours nous serons. Mais pourquoi : devenus si tristes ? Depuis combien de temps n’avais-je pas pensé à cela, l’herbe dans laquelle se cacher, les champs, épis qui penchent, se redressent, oscillent, l’herbe dans laquelle se rouler, dans laquelle abriter ses rêveries d’enfant (et les nuages défilaient, je m’en souviens, je m’en souviens des nuages lourds, qui annonçaient les orages, la fin des jeux, les mères appelaient et les gamins revenaient en courant, de toutes parts ), et déjà, dans ces rêveries, quelque chose me disait, dans le murmure du monde, dans le passage des ombres, les résonances des échos dans les lointains de la conscience, que ce monde n’était pas pour moi,
ou que je n’étais pas faite pour lui. Pourquoi sommes-nous devenus si tristes ?
Texte : Isabelle Pariente-Butterlin
Photos : Louise Imagine
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La croisée des marelles s’est nourrie d’échanges et de dialogues. Peu à peu l’idée en est née, partage, réponses, Isabelle Pariente-Butterlin à l’écriture, et moi-même derrière l’appareil photo. Échanges à géométries variables, puisque, au gré de l’inspiration, textes ou photos se nourriront l’un l’autre… Quelque chose comme une proximité dans le regard porté sur le monde, une même ligne mélodique dans ce que nous en saisissons rendaient possible cette croisée des marelles. Nous avons eu envie qu’elle ait un espace pour se déployer au fil des rêves.