Fin de voyage.
Pas tout à fait encore.
Le taxi me dépose devant la porte automatique du terminal. Nous avons discuté tout le long du trajet. Enfin, je l’ai écouté plutôt. Il me dit qu’il était militaire de carrière. Capitaine, et maintenant chauffeur de taxi. Trois enfants d’une première femme puis deux autres enfants avec son épouse actuelle, un garçon et une fille. Il me dit qu’il l’aime et qu’elle l’aime aussi. Il avait l’air si sûr de lui. Il ajouta immédiatement, sans reprendre son souffle, que chacun de ses enfants avaient suivi ou suivaient encore des études supérieures. Il était fier mais préoccupé. Il n’arrêtait pas de me répéter: « vous savez, il faut savoir “être riche”. Tout le monde ne peut pas avoir beaucoup d’argent. Il faut savoir être riche ». C’était étrange. Pourquoi me disait-il cela? Pourquoi insistait-il autant? Avait-il vraiment été capitaine dans l’armée? Tout me paraissait improbable, aussi peu plausible que la route que nous suivions pour rejoindre l’aéroport. Je ne me souvenais avoir jamais pris ce chemin auparavant. Je n’avais pas peur, mais j’essayais tout de même, inconsciemment, de reconnaître un indice qui me rappela le trajet déjà effectué maintes fois auparavant. J’étais livré à lui, entre ses mains, ses maigres mains, aux ongles brisés, cramponnées au volant élimé de son vieux taxi.
– vous parlez bien espagnol, me lança-t-il d’un coup.
– merci, lui répondis-je.
Je n’avais pas envie d’entamer une discussion. Je préférais écouter le long monologue de sa vie, monologue auquel je ne croyais guère mais qui me transportait dans son histoire. Pourquoi étais-je perdu ici, avec cet homme? Je souriais tout en l’écoutant. Nous nous étions croisés, nous avions parlé ensemble mais je réalisais que jamais nous ne nous croiserions à nouveau. Un sentiment oppressant d’inconfort m’envahit soudainement. Je vivais cette expérience quotidiennement, immanquablement la même, se connaître puis disparaître. Il ferait partie de moi, et moi de lui, pour toujours. Pourquoi nous étions nous rencontrés, lui et moi? Qu’allait-il advenir de nous, de lui, de moi?
Il s’arrêta net devant la porte du terminal, se retourna vers moi, me demandant les 200 pesos que nous avions accordés au départ. Il ne pouvait me donner de reçu, il n’en avait plus depuis longtemps me dit-il. En sortant de la voiture il m’ouvrit la portière, se dirigea vers le coffre d’où il sortit péniblement ma lourde valise à la coque de plastique bleue. Il releva péniblement son buste décharné, le maintenant droit comme un piquet, devant moi comme pour me faire comprendre qu’il n’avait pas perdu ses vieux réflexes de capitaine retiré. Il me fixa droit dans les yeux, un temps qui me parut douloureusement long. Me lança un « adieu! Bon voyage. » puis fila d’un pas de chat s’engouffrer dans son véhicule.
Je le regardais s’éloigner. Mes yeux ne pouvaient se détacher de l’épaisse fumée noire qu’il laissait derrière lui. Je m’imaginais son regard brun délavé, planté dans le rétroviseur intérieur. Il m’avait laissé seul, là où je lui avais demandé de m’amener. Mais seul.
Les couleurs s’effacèrent après son départ. Les odeurs se dissipèrent instantanément. J’avalais ma salive. Je devais être épuisé, je ne m’en souviens plus.
México – Paris | 16 juillet 2011
Texte et photo : Xavier Fisselier
« Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre. » Vases Communicants
Vous pouvez retrouver ma participation aux vases communicants d’août sur le blog de Xavier…
Et pour ne rien manquer des beaux échanges de ce mois-ci :
Ana NB et Pierre Ménard
Christophe Sanchez et Christopher Selac
Samuel Dixneuf et Benoît Vincent
Camille Philibert-Rossignol et Chez Jeanne
Urbain trop urbain et Microtokyo
Christine Jeanney et Anna Vittet
Isabelle Pariente-Butterlin et Olivier Lavoisy
François Bon et Jacques Bon
L’autre-je et Joye
Nicolas Bleusher et Brigitte Célérier
Embarquée… Je me suis laissé embarquer dans ce taxi, moi qui ne suis jamais allée à Mexico, j’aurai fait au moins un beau voyage…
Oui, une envie partagée d’aller à Mexico !
se secouer et s’avouer le plaisir pris à la lecture
Merci à vous, votre mot me fait extrêmement plaisir. xavier .)
Un délice que je retrouve enfin… 🙂