Immensité (des traces).
Presque rien. Des traces. Presque immobiles. Et pourtant, immensité. On ne parlera pas encore d’infini. Immensités des traces. Telles qu’en elles-mêmes, c’est-à-dire, s’il faut remonter autant qu’il est possible les méandres des rêves, s’il est possible d’en pénétrer les profondeurs les plus lointaines, d’en expliciter aussi toutes les requêtes, et les attentes, et les demandes, toutes demandes, adressées au destin, immensité des traces telles qu’Ulysse, épuisé malmené par la fureur d’Apollon, telles qu’Ulysse les a vues, ainsi, au ras de l’eau, épuisé, revenant de la fureur des vagues.
Mais à quoi bon écrire, si ce n’est pour relire les traces qui ainsi se sont déposées sur le monde ? Et les relier entre elles ? Et les parcourir à nouveau ?
Ulysse fuyant Calypso, Calypso elle-même, qui l’ayant retenu, l’a délivré de son sort, à la demande expresse d’Hermès, elle l’avait lié à elle, ardente, mais la demande d’Hermès ne peut pas ne pas s’entendre, Ulysse, sur son bateau, enfin, prenant la mer sur son bateau, de ses mains assemblé, je n’imagine pas sa forme, je sais seulement qu’il lui a donné celle d’un bateau de commerce, et je me dis, dans mon ignorance voilée, que la raison en doit être la sûreté de ces bateaux, parce que, sans doute, il choisit d’être certain de pouvoir revoir Ithaque et Pénélope et Télémaque aussi, qu’il avait laissé tout enfant, qu’il retrouvera presque homme …
mon ignorance voile mon regard, et je ne peux pas aller plus loin dans cette esquisse entraperçue, à peine dessinée … je ne peux pas aller plus loin. Il va bien falloir s’arrêter là.
Et pourtant, je sais de source sûre, qu’Ulysse épuisé, revenant des tempêtes qui lui arrachèrent ses derniers espoirs de revoir un jour Télémaque devenu homme, Télémaque qu’ainsi il n’avait jamais vu, je sais de source sûre, à n’en pas douter, pas un instant, cela n’est pas permis,
que son visage épuisé, crispé encore par la douleur, et par la peur, peut-être, par la peur je ne sais pas, mais son visage crispé, assurément, se posa, ici, au ras des flots, épuisé, éreinté, brisé, presque, mais non, pas tout à fait, sa joue se posa, là au ras des flots, et là, épuisé, les yeux presque clos, assurément je le sais, qu’on ne me demande pas comment, je ne donne pas mes sources, moi non plus, je les donne pas,
Ulysse ainsi regardant ici au ras du sable, regard posé au ras des grains de sable, se reposant, granularité, les grains de sable, et en eux, les traces de l’écume, l’écume, traces des traces des vagues, s’absorbant, disparaissant dans le sable sur lequel il avait posé sur sa joue.
Texte : Isabelle Pariente-Butterlin
Photos : Louise Imagine
Un très bel ensemble, encore. Le thème de la trace est inépuisable !
Merci infiniment Philippe ! Oui, un thème inépuisable et inspirant…
ah comme votre travail est accueillant à la lectrice que je suis / le tandem se goûte avec intérêt et bonheur / et cet ensemble-là m’ordonne de vous le dire; j’y cède bien facilement / oui, la trace, et ce titre : l’échappée belle, et les photos, si peu de choses et si grandes à la fois en ce qu’elles offrent de l’essentiel, sans s’imposer en force, simplement avec la force de leur être, (minimaliste serait-il un mot juste ?; juste, au sens musical, bien sûr justesse, pas justice/ peut-être pas exactement ce mot là; mais quel?) et la photographe offrant la place d’une rêverie possible à celle qui regarde / offrande de l’espace-temps pour que l’écho de ce qui se regarde se trame en elle / et la présence d’ulysse, « épuisé, revenant des tempêtes », sa fatigue déposée su le sable, me vient près du coeur / bref, merci à vous deux
Je ne sais que dire devant un tel commentaire… Vous remercier, du fond du cœur, et vous dire que je suis touchée par votre lecture.
Cette rencontre avec Isabelle est un vrai bonheur 🙂