Il l’a échappé belle.
Mais à présent le mouvement par lequel il se relève est long et lourd, décomposé, ralenti, il en a perdu l’habitude, elle le hante, hante ses articulations, ne sait plus la manière de le faire, de le mener, alors comme il peut, avec toute la maladresse dans laquelle il se sent englué, étourdi, il se déplie pesamment, comme s’il avait oublié les modalités de ce type de mouvement, comme s’il lui fallait retrouver tel mouvement terrestre, étonnement de revenir à soi, à l’horizontalité stable du sol, un peu incertaine, comme s’il lui fallait les retrouver, comme s’il lui fallait que ses articulations reprennent une pesanteur terrestre, qu’il l’avait oubliée dans la tempête, dans le temps de la mer.
Étonnement de soi, du retour. Étourdissement. Le retour à soi. Recomposition du monde.
Il appuie son effort, l’étaie, comme il peut, une main sur ses cuisses l’aide à se relever, mouvement décomposé, arrêté un instant, vacille, le temps de retrouver son équilibre, un instant de vertige, et pendant qu’il se penche au dessus de lui-même, s’efforce au delà de lui-même, tous les efforts sont des arrachements à soi, arrachements aux possibles, aux vagues, aux tempêtes, arrachement au désespoir, il aperçoit, à ses pieds, suffisamment loin de lui pour qu’il n’y ait là nulle trace de sa présence à lui, un minuscule brisement d’algue. Brindille maritime. Brisé tout à la fois, et intact, ce qu’il ne saurait être.
Cercle réciproque de leurs exclusions.
Lui, pesant, arc-bouté sur lui-même, soulevant des myriades de grains de sable, les arrachant au sol, dans lequel il laisse des traces de son combat, sable soulevé, arraché, sol malmené de ses efforts, portant les traces et les marques et les entailles profondes de son combat contre la pesanteur. Cercle de leurs exclusions réciproques. Le brisement articulé de l’algue repose sans être posé sur une surface parfaitement lisse. Il n’a laissé qu’un léger sillon de son mouvement et de celui de la vague qui l’a apporté. Perfection de son immobilité.
Cercle de leurs exclusions réciproques.
Il sait que nulle immobilité ne lui est promise. Pour le moment, il continuera de laisser des traces sur le sol, qui déformeront son ombre. Il se penche dans un vertige sur ces étrangetés circulaires. Pour le moment, les traces qu’il continuera de laisser sur le sol continueront de déformer son ombre dans le crépuscule, de lui faire subir des déformations qui ressemblent à des vagues, oscillations, imperfections, indécisions de sa présence dans le monde. Sur le monde. À la surface du monde. L’âme végétative est différente, indifférente au mouvement, indifférente au déplacement, au changement selon le lieu. Qui l’épuise. Dans lequel il s’échine.
Comme si ce fragment de rêverie venait de se briser lui aussi, il détourne les yeux et reprend sa marche.
Texte : Isabelle Pariente-Butterlin
Photos : Louise Imagine
Il y a dans le ton, les mots une nécessité
rare
comme une balafre
sur la peau de l’infini
Et la pensée construit la matière
un peu comme l’oiseau construit le nid
en allant prendre ici et là de petits bout de rien du tout
qui
assemblés, tissés, collés, imbriqués
font
ici ce mouvement infiniment ralenti.