Attendre – Partie I


Attendre…

Les meubles, elle s’en était débarrassés. Un magnifique feu de joie, plus de trois jours durant, illumina l’immensité du parc jusque tard dans la nuit. Des heures à les traîner ces putains de meubles, mètre après mètre, jusqu’à l’extérieur les tirer de ses bras faibles lorsqu’elle y arrivait, les éventrer à coups de hache lorsqu’ils s’y refusaient, des heures à s’assécher pour intégralement vider les lieux, plus une armoire, une table, ne serait-ce qu’une chaise… Vaisselle entièrement brisée, jetée jubilatoire du haut des escaliers, assiette après assiette, l’une suivant l’autre, sans précipitation – ne pas perdre le bruit en un trop grand fracas – verre après verre explosé contre le sol. L’eau, elle la buvait à même le puits, mangeait les fruits à l’arbre, seules occasions de sortie, alors pourquoi s’encombrer ? Il restait à peine un mince matelas qu’elle tolérait encore dans l’ancienne cuisine, sur lequel elle s’effondrait lorsque la fatigue l’emportait. Et, malgré ça, malgré l’espace vide et froid, parfois, il lui semblait, elle en était presque sûre, que de dessous le matelas, d’exactement en dessous de son propre poids, un bruit émanait. Le bruit qu’elle traquait depuis combien de temps déjà ? Un souffle familier. Le rythme profond, masculin d’une lente respiration, une mer d’oxygène emplissant des poumons… Cela lui criait dans les oreilles lorsqu’elle s’endormait, cela lui vrillait la tête. Il était là. Si proche d’elle. À n’en pas douter.

Dans l’enchevêtrement des salles, elle guettait. Marchait sur la pointe des pieds pour ne pas l’affoler. Oreille collée contre cloison, haut très haut au niveau du plafond ou plus bas, presque au ras du sol, elle écoutait le plus petit cliquetis, le moindre bruit étouffé, tentait d’en reconnaître précisément la source, de s’approprier chacun des sons mis – parfois gémis, elle l’aurait juré – par cette satanée demeure. Elle tentait désespérément de ne pas se laisser déconcentrer par le trop plein de sons – les portes grinçant sous le vent, plancher craquant – elle voulait plus que tout – à en crever le retrouver, lui, égaré… Entre les murs, errant, juste là, derrière, elle le devinait, le sentait presque. Il ne pouvait avoir disparu aussi brutalement, non, il ne pouvait pas, absolument pas, c’était impossible, impensable, s’être levé un matin, en silence, s’être redressé discrètement sur le lit qu’ils partageaient depuis des années, calculant chaque mouvement, surtout ne pas la réveiller, avoir glissé entre les draps, fuyant dans l’ombre, sans l’avertir, sans rien lui dire, sans même un mot, non, il ne pouvait pas, impossible, faire ça…
Forcément, il devait être là, pas envisageable autrement, il était forcément là, quelque part, derrière ces murs froids, ces murs en pierre, derrière le plâtre et les panneaux en bois, là où elle ne pouvait voir, où elle ne le sentait plus, lui, prisonnier incapable de s’échapper. Sans doute devait-il chercher encore et encore à la rejoindre, probablement collé aux cloisons, tout comme elle, mais de l’autre côté, posant ses doigts exactement face à ses doigts à elle, lui, corps entier pressant la paroi, genoux incrustés, l’oreille sur chaque centimètre carré de cette saloperie de baraque, pour la retrouver, évidemment, désespéré à la hauteur de ce qu’elle éprouvait.

Texte, photo : Louise Imagine

Une réflexion sur “Attendre – Partie I

  1. La folie qui attend
    juste derrière la peinture du mur
    et qui a profité lâchement
    d’un premier coup de poignard du destin.

    ____________
    j’aime beaucoup ce qui me passe dans les veines
    de la détresse
    et de tout ce qui est désespérément tenté pour s’en libérer

    et pourtant
    par faiblesse
    je fuis souvent le malheur de l’autre
    ici, non
    peut-être parce qu’il trouve presque un équilibre
    dans cette ascèse
    dans cette libération de tout ce qui sert à consommer du réel
    dans cette fuite sous le matelas …

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