Parfois, au plus intense de sa concentration, secouée de fatigue, yeux picotant et ruisselant de larmes, parfois, au bord de l’évanouissement alors qu’elle tentait de bloquer les lourds battements de son cœur, la galopade bruyante du sang dans ses veines, alors qu’elle guettait avec avidité, dressait l’oreille à s’en crever tympan, alors que tous les murs, les espaces chancelaient dangereusement, il lui semblait entendre, faibles, certaines de leurs disputes passées. Provenant de l’intérieur d’une cloison ou d’un plafond, des colères interminables, douloureuses résonnaient. Des mots violents, échangés il y a quelques années, elle les entendait parfaitement, syllabes telles que prononcées, même rage, recrachées sans concession, des relents d’acidité brûlant à nouveau ses joues, son corps, tous ses muscles broyés. Elle écoutait, pétrifiée, avait peur, une peur destructrice et soudaine, irraisonnée, peur que la haine soudain ne s’enflamme, plus fort et plus vite qu’au fameux jour, échappant au temps, au passé depuis longtemps écrit, puis que cette fois, alors qu’elle assistait impuissante, oreille dressée, corps entier incrusté, ils ne se déchirent sans relâche, sans limite, comme deux enragés…
Elle sanglotait, sans pouvoir s’éloigner, buvait les propos qu’ils n’auraient pas du prononcer, rageait, souffrait qu’il ne lui soit rendu que ça, ces sales mots là, elle aurait aimé – et pourquoi donc n’y avait-elle pas droit ?- tant aimé les murmures partagés au creux de la chambre quand leurs corps se caressaient et leurs souffles se frôlaient, les mots simples du réveil, ensemble, sa main dans la sienne, leurs pieds se mêlant l’un l’autre, quelques bruits de baiser…
Faute, la faute à cette maudite baraque, crachait-elle, la faute à ces murs froids et ces espaces creux… La faute à cette absence, toujours plus étouffante, ne cessait-elle de répéter. Cette rage à dompter, cette haine, l’étouffer. Mais quoi ? Que faire ? Rien à faire que râler, rien à faire que continuer coûte que coûte sans relâche, pas s’arrêter, et pas surtout pas la laisser gagner. Résister, malgré silence et insolence, tu finiras crois-moi par parler, chaque mot tous les mots que j’aurai décidés.
Prendre une décision. De la cave au grenier, des murs au plancher, elle commençait à en gratter la surface, puisque cette maison ne voulait pas, refusait obstinément, puisqu’elle se rebellait, absence de pitié malgré les longues suppliques, heures à pleurer qu’on me le rende s’il vous plait je vous en prie, sans lui rien, que le vide, sans lui mal et si mal à mourir, puisque cette saloperie de maison refusait, malgré le vide et le silence, malgré l’amertume, puisqu’elle restait obstinément muette, il fallait, aucune autre alternative, la blesser… Tu vas crever. Égratigner l’épiderme, peu à peu, creuser chair, sa chair blanche, molle, effritée sous l’ongle. Pas de honte ni pitié… Lui arracher tout ce qu’elle avait volé. Après les meubles éventrés, après amas de planches échardes perçant les doigts, après souffrance et découragement, il lui fallait mutiler.
Avec un couteau échappé du feu, un beau couteau tranchant dont le corps en corne s’emboîtait merveilleusement au creux de sa paume, elle commença. D’abord la chambre, leur ancienne chambre… Tapisserie épaisse au bleu profond, reliefs de fleurs depuis longtemps fanées, agréable tableau qu’elle commençait à déchiqueter, découper peu à peu comme on tire le fil d’une soudure, arracher en grands pans, exposer béance de la plaie… Chercher alors matière résistante en dessous, sentir par avance l’étonnante porosité et jouir de la savoir si friable, y planter couteau, coup sec faisant vibrer le bras jusqu’à l’intérieur des os… Puis creuser, à la pointe de la lame… Inscrire la haine, ce qu’on ne pourra nier, inscrire l’interminable attente dans la faiblesse des murs, tatouée sans anesthésie, pour ne jamais oublier cette nuit d’été… La nuit, où il disparut.
Texte, photo : Louise Imagine
J’aime beaucoup cette suite.
La colère ici dépasse les mots et vient occuper
notre gorge (matière qui déborde les lèvres)
nos mains (tremblements)
Quant à cette sauvagerie
seule à pouvoir sauver de l’auto-destruction
griffer les murs à leur arracher la peau, l’enveloppe, l’habit
plutôt que de se griffer le front jusqu’au sens
elle aussi
quelle présence
face au trou de l’absence.
Merci Alphonse,
vos mots me touchent…
Si justes