L’échappée belle, IV par Isabelle Pariente-Butterlin


Ça n’arrête jamais, ça n’arrêtera jamais, ça ne peut pas s’arrêter, le déroulement, le long déroulement : les vagues, le long du rivage. Ciel gris, ciel lourd. Les vagues, le long du rivage. On regarde ce qu’Ulysse a regardé, on se plante, au bord du rivage, on regarde ce qu’Ulysse a regardé, on dépose des strates légères de son regard là où, exactement, oui, là, exactement, où Ulysse déposa le sien. C’est là le pur miracle. La mer inchangée et ulysséenne.

On regarde les vagues, la bordure d’argent, on regarde l’écume, on est là, désœuvré, il ne fait même pas beau, on ne pourra pas se baigner, qu’est-ce qu’on fait là?, il suffit de fermer les yeux, et d’entendre ce bruit, les coquilles soulevées, brassées, écrasées, explosées, lancées sur le sol, et ces déferlements, les mêmes, exactement, ceux qu’Ulysse, dans sa main, souleva, les mêmes grains de sable, inchangés, brassés, peut-être en tient-on un, dans la main, au creux de la main, là où la peau se plisse, dessine, à ce qu’on dit, des destins, je n’y crois pas, les destins se tracent sur le monde, non au creux de la main, les destins imposent leurs traces sur le monde, non au creux  de la main, mais il est possible, néanmoins de tenir, là, au creux de la main, dans la peau sillonnée, un grain de sable, celui-là même, qu’Ulysse tint dans sa main, qui se glissa dans un repli de sa peau, qui se glisse dans un repli de la nôtre.

Rien d’impossible. À cela, logiquement, il n’y a rien d’impossible. Les vagues sont les mêmes. Molécules d’eau. Matière inchangée. L’écume est la même. Le goût du sel sur la peau, cette brûlure, qu’on connaît bien, qu’il connaît bien. Ce sont les mêmes exactement. Intimité incroyable qu’il y a alors, entre un monde qui n’existe plus, dont les dieux se sont retirés il y a bien longtemps, et nous, aux bords des mondes, avec nos appareils photos, nos iPhone, rêvant d’Ulysse et de la mer infinie, oubliant nos clefs de voiture dans nos poches, et nos cartes bleues. Les dieux sont partis. Il reste que nous sommes toujours là, aux bords des mondes, aux bords de l’eau, les vagues ourlent nos regards, nous cherchons dans le monde vide, des parcelles d’∞, nous scrutons le monde vide, et la mer soudain est bruissante, froissée, sombre.

Texte : Isabelle Pariente-Butterlin

Photos : Louise Imagine

4 réflexions sur “L’échappée belle, IV par Isabelle Pariente-Butterlin

  1. merci à toutes les deux de nous relier les unes (les uns aussi) les autres à Ulysse, aux bords-des-mondes, à Pénélope aussi qu’il ne faut pas oublier, elle aussi tisse de beaux liens..

  2. Dans les pas d’Ulysse
    qu’elle est belle cette échappée au rythme des vagues, du sable, de la sérénité des légendes.
    (comment un tel pays pourrait-il avoir des dettes ?)
    _______________
    Nullement partis
    (si ce n’est de notre tête puisque nous sommes – le plus souvent dans la journée – incapable d’accepter ce possible)
    Ils sont là, les dieux
    éternels
    ou dans un temps infiniment plus … que le notre
    on peut s’y baigner ou les tenir dans le creux de la main.
    ________________
    (je ne peux m’empécher de revenir sur ce que vous dites d’un art divinatoire … incompris (?)*
    Les lignes de la main ne sont-elles pas uniquement un écho
    – tout comme l’athanor donne image à celui qui nous habite –
    de ces lignes qu’il fau(drai)t lire autour de nous
    – ligne de crêtes, ligne de connivences, ligne d’égale lueur (qui indique là où pourraient se déchirer les nuages) –
    pour deviner un peu mieux, non pas l’avenir
    mais ce présent ?

    *Lire Neroman et remâcher le symbolisme de tout ce toutim.

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