Courir. Pieds nus. Voilà. C’est ça. C’est seulement ça. Ça suffira. Arriver sur la plage. Enlever ses chaussures en trébuchant un peu dans le sable. Passer de l’horizontalité raide du sol à celle, mouvante, du sable. Abandonner ses chaussures sur la plage et courir. Pieds nus. Pieds nus dans le sable. C’est danser.
Ça commence. La liberté commence là. Comme elle peut commencer aussi, simplement, en levant la tête, dans la rue, et en regardant les nuages. Mais les pieds nus, dans le sable frais de la nuit, ou tiède du jour, dans le sable parfois brûlant de l’été, les pieds nus dans le sable ancrent dans la liberté. Abandonner le reste. Poser son sac. Marcher le long de la mer. Là où Ulysse aurait abordé, se serait relevé, lui, encore naufragé par la colère des dieux, il se serait relevé, aurait fait quelques pas, chancelants, et moi j’arrive de la ville, j’enlève mes chaussures, et je le rejoins dans son monde ultra-marin.
Il suffit d’enlever ses chaussures et de marcher dans le sable pour se glisser dans le monde des rêves infinis. Celui où spontanément se portent les pas des enfants. Celui où d’eux-mêmes les portent les pas des enfants.
Courir. Un pas puis l’autre. À perdre haleine. Courir vers la mer. Le long de la mer. Pieds nus dans le sable. Tourner, virevolter. Courir. Au-delà de ses propres forces. Bien au-delà de ses propres forces. Ça n’a aucune importance. Entendre, dans ses tempes, dans sa poitrine, entendre son cœur, son cœur qui bat, un pas puis l’autre, précipités, haletants, le cœur battant, souffle coupé, courir, toujours, sur les traces d’Ulysse, courir dans ses pas. Si le cœur bat, s’il bat de nouveau, c’est qu’on est vivant non ? Alors tout va bien.
Courir pour rattraper l’enfant qu’on n’aurait jamais dû cesser d’être. Courir après soi. Après ce qu’on a perdu de soi. Après la trace d’Ulysse qu’en soi on a perdu. Courir sur le monde. Traverser le monde en courant. Courir après l’enfant qu’on est, qu’on n’a jamais cessé d’être, on le jure, en courant, en riant, on le jure. Tomber dans le sable en riant. Puis s’asseoir face à la mer et retrouver son souffle. Sans bouger. À côté d’Ulysse.
Texte : Isabelle Pariente-Butterlin
Photos : Louise Imagine