« Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre. » Vases Communicants
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J’ai le grand bonheur d’accueillir ici-même Christine Jeanney, pour ces vases communicants d’avril 2012. Chacune de nous devait écrire sur les photos de l’autre et c’est avec joie que je me suis lancée dans cette belle aventure.
Merci à Christine qui m’a fait l’honneur de m’accueillir chez elle. N’hésitez pas à lire et relire Christine, sur Publie.net et sur Tentatives.
Merci également à la merveilleuse Brigitte Célérier, qui nous permet de ne rien manquer des autres échanges de ce mois-ci.
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Le caractère chinois désignant l’éventail
« le caractère chinois désignant l’éventail se compose de la clé de la « porte » sur le caractère signifiant « plumes » »
Ici, ni clé ni porte, une ouverture et les plumes écrasées au sol, des détritus, des résidus, poubelles raclées restées logées aux encoignures, c’est le décor, et le chemin qui y mena non vérifiable – est-ce qu’il faisait seulement soleil à la surface, s’il y a surface – le personnage un inconnu, et les fascicules tous semblables, plaquettes de papier glacé, cartonnages logotisés, publicifiés, en accès libre sur des présentoirs à roulettes, faits d’une seule page unique et souple, comme les voitures uniques et souples, toutes les mêmes, on ne peut pas intervenir, on peut parler des bruits de pas, des pas, des bruits très réguliers de pas qui parviennent de l’escalier, ils en descendent, visent un point précis de jonction, il faudra bientôt réagir, et il y aura plusieurs choix dans l’éventail rempli de plumes, à moins qu’un seul, on ne sait pas, les éléments sont déclencheurs, décideront en autonomie de l’inconnu soumis au bruit, au bruit des pas, sa vie reliée à un fil privé de contours discernables, imprévisible, lesté autour de jambes en marche, peut-être une voix secourable au bout du fil viendrait aussi, il lève la tête – le moment où il lève la tête laisse un impact sur le bitume au milieu des taches de peintures enveloppes de bonbons criardes mouchoirs jetés et délités proches de la disparition – il lève la tête et la pluie tombe, c’est imprévu, elle tombe, en larmes de ciment, en ombres d’eau, des particules terre de sienne, particules grises, se déposent au-dessus des manches, recouvrent le tour des poignets, sèchent sur le dessus des mains, dessous, se forment en pellicule unie, unique et souple, pendant que les pas se maintiennent à une distance raisonnable, le bruit de pas qui se refuse, résiste à créer la rencontre, de la pluie tombe des plafonds, c’est un sentiment véritable, dans les garages souterrains les pas constants restent lointains, c’est une fiction impossible, et lorsque l’inconnu emprunte un escalier, un ascenseur, et qu’il rencontre d’autres gens ou se mêle à la foule dehors, qu’il retourne au travail parfois, ou qu’il rentre chez lui le soir, part le matin et recommence, la fiction reste ancrée en lui, un coin de sa tête en dépôt, comme un monceau de plumes collées, tachées, froissées, indélébiles, qu’on ne peut autrement décrire, des bruits de pas jamais atteints dans un souterrain où il pleut du ciment gris sur les vêtements.
Texte : Christine Jeanney
Photos : Louise Imagine
Belles phrases ponctuées, ponctuation d’une idée développée de virgules qui donnent du souffle, un tout cohérent comme sait le faire si bien Christine. À vous deux, Louise et Christine, j’adore la langue française. Je lève la tête… et les mots tombent. Merci
« Les larmes de ciment », j’aime l’ambiance souterraine, fiction réelle, alignement de tout ce qui véhicule une sorte de sentiment d’étrangeté (cliché) ou d’étanchéité.