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L’enchainement des matchs et tournois avait mis ses nerfs à rude épreuve, d’autant qu’il avait du lutter chaque jour pour qu’on ne l’oblige pas à arrêter le Hand. Impossible d’oublier les phrases qu’ils lui avaient balancées, impossible d’effacer ce qu’ils ne cessaient de lui répéter. « Si ton frère était encore de ce monde, crois-tu qu’il perdrait du temps avec un sport stupide ? Crois-tu que c’est ainsi que tu trouveras un métier décent ? » Kern s’était crevé à la tâche, jonglant au mieux de ses possibilités entre sport et travail scolaire. Malgré de très bons résultats d’un côté et plutôt honorables de l’autre, rien n’avait pu atténuer l’aigreur parentale. Y compris lorsque certains clubs professionnels étaient venus le recruter. Rien que d’y repenser, un goût de bile remonta à sa gorge et son poing se crispa inconsciemment. Malgré la déception, malgré la culpabilité qui ne cessait de se déployer et ébranler ses convictions, Kern avait tenu bon. Contre vents et marées. Et le voilà ici à présent. La saison terminée. Pas un jour ne s’était écoulé sans qu’il ne joue, même si pour cela il avait parfois dû se cacher. Non, il ne devait pas céder. Il ferma les yeux, bien décidé à ne pas se laisser gâcher cette belle journée, et inspira profondément, chassant de ses pensées toutes ses hésitations, se laissant gagner par une délicieuse quiétude et la caresse langoureuse du soleil. Il n’aspirait qu’à plonger. Le contact brutal et bienfaiteur de l’eau glacée finit de tout effacer.
Alors que, dans un scintillement argentin, il s’élançait hors de la piscine, Kern perçut un léger fourmillement parcourant son échine, une sensation claire et familière qu’il reconnut sans peine. Il n’en devinait pas encore la source mais la sentait aussi sûrement que l’eau fraîche ruisselant le long de sa peau bronzée. Il avançait avec calme malgré l’inquiétude fronçant ses sourcils, laissant dans son sillage les empreintes humides de ses pas félins. Il avançait, tous ses sens en éveil, et plus il avançait, plus l’étrange sensation se précisait, émergeant, nette, incisive, cramponnée à sa chair comme une sangsue au flux sanguin. S’imposant une nonchalance feinte, loin de la crispation qui tétanisait chaque seconde plus sûrement ses muscles, Kern entreprit de faire le tour des environs. Le malaise lui serrant la gorge, il lutta contre une envie irrépressible de rebrousser chemin, retourner auprès de son équipe, de ce groupe de jeunes gens qu’il connaissait à la perfection, sa véritable famille finalement. Pas son style pourtant de se laisser ainsi déstabiliser, depuis le temps qu’il était sujet à ce genre de pressentiment, il avait appris à se contrôler et à en tirer profit dans bien des circonstances. Mais aujourd’hui, c’était différent. La vélocité et l’acuité inédites de ce qu’il ressentait le glaçait jusqu’au sang et tout son corps l’exhortait à la prudence.
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Texte : Louise Imagine