Le lac – #vasescommunicants avec Françoise Renaud @francoiserenaud – #vasesco


Premier vendredi de juillet et quel plaisir d’accueillir sur Il pleuvra demain Françoise Renaud.

Nous nous sommes rencontrées à La comédie du Livre, sur le stand de Sauramps, où j’ai eu la chance de découvrir (et d’acquérir) certains des nombreux livres de Françoise. Me voilà donc, heureuse et impatiente, prendre le chemin de la maison avec de précieux trésors rangés précautionneusement au fond de mon sac : Aujourd’hui la mer est blanche, puis L’enfant de ma Mère. Je ne vous parlerai pas des belles dédicaces que Françoise y a déposé, comme de délicats poèmes à fleur de page : je préfère égoïstement les garder pour moi !

N’hésitez pas à aller découvrir/redécouvrir sur son site, l‘ensemble de ses publications.

Grand Bonheur, bien sûr, d’accueillir ici Françoise, et d’y déposer son texte, Le Lac, écrit d’après quelques photographies que je lui avais envoyé.

Merci à elle, pour cet échange cher à mon coeur qui s’est décidé avec sincérité et simplicité.

Merci encore d’accueillir sur Terrain Fragile, mon texte pour ce mois de juillet.

Bonne lecture à tous !

 

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LE LAC

Il avait eu envie de faire la traversée. Le temps était limpide, le lac posé au milieu du paysage, contours nets et précis. Même au fond là-bas — on s’en rend compte sur la photo. Il distinguait chaque arbre, chaque bosquet, chaque petite plage de galets clairs. Aussi les silhouettes humaines qui déambulaient et les voiliers tirés au sec sur la grève. Plein de confiance, il était entré dans l’eau et il était parti. Lentement. Posant sa nage, regardant à droite à gauche, sans se soucier des algues en lanières enracinées au fond de l’eau qui venaient caresser son ventre. Tout allait bien. Il avançait au rythme des bras qui refoulaient l’eau vers l’arrière et des jambes qui fouettaient sous la surface. Au bout d’un moment il s’était senti en forme et il avait décidé de crawler. Une nage qui exige de s’immerger, de perdre ses repères. Du coup il ne pouvait plus surveiller le décor comme avant, seulement dans les espaces brefs de la respiration. Et l’air de rien il avait commencé à dévier de sa trajectoire, juste un peu au début — certainement à cause du courant qu’il avait négligé de considérer. Mais plus il s’éloignait du rivage, plus le courant devenait sensible et plus il s’écartait. Étant donné son manque d’entraînement, il était rapidement revenu à la brasse. Alors il avait constaté combien il s’était écarté de sa ligne de départ. Pas grave. Il avait poursuivi, certain d’accomplir son projet.

Forcément il avait fini par s’essouffler. Une fatigue subite lui était venue dans les jambes et l’eau lui avait paru plus sombre, peuplée de créatures dangereuses. Il avait senti l’effroi le gagner pareil à un frisson glacé et sa nage s’était déréglée, mouvements désordonnés au point qu’il ne progressait plus ni dans un sens ni dans l’autre. Il avait commencé à s’affoler, son cœur s’était emballé, il avait levé les bras en l’air pour faire signe, espérant qu’on le verrait depuis la base nautique, il avait même tenté de crier, mais le vent était en train de forcir — comme tous les jours à la cette heure-là — et les moniteurs rentraient les voiliers, s’occupaient des gréements, ils ne regardaient pas le paysage.

Des petites langues de plus en plus féroces se levaient à la surface du lac et cinglaient sa figure. Il avait résisté mais l’eau rentrait dans sa bouche, dans sa gorge. Soudain il avait eu l’impression d’étouffer, tout était allé très vite, ses mains avaient battu la surface de l’eau comme si quelque chose de sauvage l’attirait vers le fond. Irrésistiblement. Les lanières rugueuses avaient entouré ses jambes pour le faire céder. Puis plus rien. Le silence du vent frappant l’ombre.

La petite l’attendait sur la rive. Sagement. Corps auréolé d’une fine poussière.

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Louise Imagine

 

Texte : Françoise Renaud

Photographies : Louise Imagine

 

8 réflexions sur “Le lac – #vasescommunicants avec Françoise Renaud @francoiserenaud – #vasesco

  1. brr……… j’en ai des frissons !! quel texte merveilleux et cependant tellement tragique !!
    toujours aussi talentueuses (photo et texte)

  2. joli texte que je reconnaîtrais entre mille à cette façon de relativiser certaines choses « pas grave » mais cette fois il y a du mystère, est-il arrivé à bon port?

  3. Cela me rappelle les dernières lignes de Martin Eden le roman de Jack London. Françoise toujours aussi fluide même dans le tragique. djil

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